Entre le Check Point 1 et le Check Point 2 de cette deuxième étape, c’est très facile….Du sable, du sable et du sable… Des Dunes à perte de vue….
C’est ainsi que nous quittons le CP1 et posons le pied sur la première grosse difficulté de cette épreuve : Les Dunes de Merzouga.
Une seule consigne : suivre le couloir naturel entre les Grosses Dunes pendant 13 km. C’est simple, clair et concis.
Un seul conseil : rester sur les crêtes pour rendre l’ascension plus aisée.
Et toujours : boire, prendre ses pastilles de sel….
Dès les premiers pas, nous ne pouvons qu’être époustouflés face à ce paysage sublime. Nous rentrons dans un tableau surréaliste. Des dégradés de jaunes sculptent les Dunes dont nous sommes bien incapables de deviner la fin, ni même la direction que nous fera prendre le chemin. Passées les premières photos, il est temps d’avancer car la chaleur est étouffante. J’impose à mon binôme de course une allure régulière, lui montre le chemin. Mes années de raid multisport m’aident à lire le terrain. Mes entraînements à la Dune du Pyla comptent pour beaucoup car je me sens assez à l’aise sur les premiers km. Il n’en est pas de même pour Marc qui visiblement sent son sac lui peser et les appuis fuyants du sable le freiner. Pour ma part, tant que mon allure est régulière, je me sens bien. Je propose à Marc de diviser cette ascension en étapes d’environ 3 km au terme desquelles nous nous arrêterons faire une pause. Il acquiesce, ouf…
Chaque pas se veut fuyant, chaque poussée sur les bâtons est nécessaire, chaque gorgées d’eau indispensable. Le soleil nous fait souffrir et il n’est pas encore midi. Nous ne transpirons même pas, les gouttes s’évaporent avant même de se former. Petits pas après petits pas, nous arrivons à 3 km. Où que nous regardions, devant, derrière, ou sur les côtés, des Dunes, des Dunes et encore des Dunes. Quelques touffes d’herbe nous offre une ombre salutaire. J’arrive à avaler un morceau, je bois, reprends mon souffle. Pour l’instant tout va bien. Mes pieds se font légèrement sentir mais en restant sur les crêtes, j’évite les appuis glissants, donc tout est supportable. Autour de nous en revanche, c’est un ballet de secours. Le moindre coin d’ombre est occupé par un coureur, assis voire allongé. Certains seulement pour reprendre leur souffle comme nous, d’autres sont bien mal en point et l’évolution dans ce sable brûlant les met à rude épreuve. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai vu le quad aller vers des groupes, l’hélicoptère tourne et se pose régulièrement. Un mot d’ordre, ne pas évoluer seul. C’est une évidence.
Nous repartons et poursuivons notre évolution pendant encore quasiment 3 km. La végétation se fait plus rare et nous profitons des dernier arbres en vue pour souffler. Chaque étape dure environ 1h. Les pauses sont nécessaires. 1H c’est court quand on y pense, mais dans ces conditions, cela paraît affreusement long. Nous sommes quasiment à mi parcours et je m’aperçois que mon compère d’aventure n’a quasiment rien bu ! Ce n’est pas possible, je lui passe un soufflon comme jamais lui rappelant la quantité de personne que nous croisons depuis tout à l’heure mal en point ! Il est hors de question que je l’abandonne dans cet enfer complètement déshydraté ! Je le somme de boire régulièrement et vais y veiller au grain. Mais ce regain de bienveillance cache une tout autre réalité, en m’occupant de ceux autour de moi, j’évite de penser à mes propres souffrances, qui commence à obnubiler mon esprit. Mes pieds me font souffrir, je vois beaucoup trop de personnes malades, perfusées en plein désert de sable. L’hélicoptère décolle encore et encore. Etait ça le Marathon des Sables ? Je n’ai jamais rien lu de tel. J’ai l’impression que tout ceux autour de nous abdiquent les uns après les autres… Allez pour l’instant ça va, continuons…
Pour changer des « bois ! Prends tes pastilles ! » et après nous être raconté une bonne partie de notre vie « trépidante » (il faut bien des heures pour tout évoquer!), nous nous lançons un nouveau jeu : où se trouve la sortie de ce labyrinthe ? Tant que nous ne jouons pas à Cluedo, chaque chose est bonne à prendre… Allez derrière cette Grosse dune, je suis sûre, nous verrons la fin…
Comment vous décrire le silence infâme quand, après avoir passé la fameuse dune, nous avons vu…. Des dunes encore plus grosses ! Point de panorama autre que des Dunes à perte de vue…Nous arrivons à près de 10 km de Dunes (et là je remercie ma Garmin d’être aussi précise) et toujours aucun changement d’horizon, .. Juste l’impression que les Dunes sont encore plus immenses et plus majestueuses. Je n’ai pas de mots assez grands pour les décrire, elles sont sublimes. Je n’ai qu’un espoir, pour vu que l’on ai pas à en monter une…
Depuis plusieurs km il devient impossible de suivre les crêtes et c’est une accumulation de petites montées et descentes qui nous achèvent bien le rythme et rendent l’évolution très compliquée. Les discussions et le jeu ont laissé place à un silence assourdissant que seules les pales de l’hélicoptère ou le moteur du quad viennent perturber. Je suis rentrée en mode machine, la tête vidée, j’avance sans penser, mon seul but arriver au bout de cet enfer. En effet, ce paysage si magnifique jusqu’alors cache une difficulté tout autre, l’esprit s’obscurcit, les idées noires assombrissent la motivation, les douleurs sont palpables, les larmes coulent en silence. Il reste peu de km mais ils semblent interminables. Va t on réussir à sortir de cet endroit ? Bien que tout à coup le paysage s’élargit, nous ne voyons toujours pas le CP2. Au loin des maisons blanches nous donnent le mirage d’une arrivée proche, les renseignements d’un bénévole nous donne l’illusion de la fin, notre rencontre avec le directeur de course d’habitude si enjoué est glaciale, je ne comprends pas. A peine arrive t-il à nous dire un mot…et pour cause… ce visage avec un regard si lointain cache une triste réalité que je n’apprendrais que dans quelques heures… En attendant, il nous laisse poursuivre notre chemin et direction du CP2 qui arrive enfin. Je n’ai plus de force, mes pieds me font souffrir, mon esprit n’y est plus.
Une seule phrase de cette si gentille bénévole suffit à m’effondrer… « ça va ? » me demande t’elle. Pour la première fois de ma vie, je réponds un NON dans un sanglot non retenu. Je lâche dans mes larmes ces derniers km qui m’ont fait tant souffrir…. Je m’effondre sous la tente, le soleil commence à baisser. Il fait meilleur. Je m’excuse auprès de mes voisins je ne peux pas retenir mes larmes… il faut que cela sorte. J’en fais pleurer Valérie qui est juste à côté de moi et qui m’en remercie… Je crois que c’est typiquement féminin, craquer pour mieux repartir…Enfin là, je n’imagine pas faire les 6 derniers km qui me séparent du bivouac.
C’est sans compter sur cet adorable bénévole, je ne me rappelle pas son nom mais il a les mots justes… « Allez Nadège, notre but c’est que tu finisses. Prends ton temps, reprends tes esprits, mange un peu et tu repars, j’ai confiance en toi… » … Je m’exécute, incapable d’une quelconque répartie…
Marc me motive, plus que 6 km. On a passé le plus dur…Allez, on y va.
Les premiers 100 m sont une torture. La frontale vissée sur la tête, la casquette rangée pour laisser ce petit vent me rafraîchir la tête, j’avance mais la douleur est difficilement supportable. Ce ne sont pas les jambes, de ce côté ça va, le dos nickel, aucune douleur..mais mes pieds…je suis capable de dire exactement la morphologie de ces derniers, 2 énormes ampoules me tapissent l’avant pied. Il faudra quelques minutes avant que la douleur se stabilise mais la contrepartie est certaine, il est hors de question de s’arrêter sous peine d’un stop définitif.
Nous évoluons dans la nuit, apercevant au loin, très loin les lueurs du camp. Si celles ci nous font tenir tel un phare en pleine tempête, Elles ne se rapprochent que très doucement. Je me raccroche à cette lumière rouge qui clignote devant moi. Il s’agit de celle d’un concurrents qui nous a doublé juste après le CP2. Si elle s’arrête, c’est qu’il est arrivé…mais jamais elle ne s’arrête, ces 6 derniers km sont interminables.
Enfin l’arche se profile, l’entrée du camp, le passage obligatoire. L’occasion de faire une bise virtuelle via la caméra à nos proches en espérant qu’ils nous voient à ce moment là.
Mais quelle est cette ombre un peu avant l’arrivée…Je devine Daniel qui m’attend. Je suis tellement surprise mais en même temps heureuse de le voir que d’un coup d’un seul mes idées noires disparaissent. Je me rapproche de l’arche et les autres membres de la tente sont là… Cette fois ci ce sont des larmes de joie qui coulent ( et coulent encore en écrivant ces lignes)… Je réalise que je suis arrivée… Mais je ne vois pas Dolorès. Une inquiétude me saisit. Où est telle ? Elle n’a pas fait partie des évacués j’espère ? Non, heureusement, Elle est bien arrivée, pas de souci. Même Christophe est là, il est malade depuis 2 jours et abandonne sur cette étape. Le premier de notre tente à abdiquer. Ils me délestent tous de mon bardas qui ne faisait qu’un avec moi toutes ces heures durant. Tout à coup j’ai l’impression d’être si légère que je m’envolerais… C’est sans compter sur mes pieds qui me remettent immédiatement les idées sur Terre. Il faut impérativement que j’aille voir les podologues, sous peine de ne pas reprendre la route demain. Marc rejoint sa tente et je le remercie grandement. Sans lui, cette journée aurait sûrement été encore plus dantesque.
C’est à ce moment là que j’apprends la Triste Nouvelle. Celle qui a fait perdre son sourire légendaire à Patrick Bauer lors de notre rencontre dans les Dunes… En plus d’un nombre inimaginables d’abandons, l’un d’entre nous ne rentrera de cette épopée. Pierre s’en est allé dans les Dunes. Cette nouvelle me serre le cœur. La sérénité et l’insouciance laissent place à l’inquiétude. Mille idées me passent par la tête et il est trop tard pour que je puisse rassurer mes proches, le centre média sera fermé quand j’en aurai fini avec les podologues.
Mes compères de tente m’ont préparé ma soupe pendant que je soignais mes pieds. Tant de bienveillance me réchauffe le cœur. Je les en remercie et les laisse s’endormir pendant que je me détends enfin et fais mes petites affaires à la lueur de la frontale… Je me glisse dans mon sac, discute quelques instants avec Dolorès et m’endors enfin d’un repos bien mérité… Quelle folie cette aventure…