L’ascenseur émotionnel jusqu’au bout
Précédemment : Un bénévole m’accueille avec un grand sourire. « Bravo Nadège ! Plus que 5,5 km allez max 5,6 ! » Je le regarde abasourdie et je lui demande de répéter ! Ce qu’il fait. Il m’assure de la distance ! Je pleure en le remerciant chaleureusement « Merci ! Vous n’imaginez pas, vous venez de me faire gagner 400 mètres ! Merci Merci. » Les bénévoles rient et moi avec en imaginant cette réflexion. Je viens de faire 31 km et je suis ravie que l’on m’enlève les 400 derniers mètres… Je ne m’attarde pas sur le CP, remplis mes gourdes et repars immédiatement. Moins de 5 minutes d’arrêt, je n’ai jamais été aussi vite, je veux rentrer, je veux envoyer un message à Vincent, Je veux enfin me poser et c’est d’un pas hardi que mon chemin se poursuit, le cœur léger, le sourire au lèvres, j’ai 400 mètres de moins à faire !
Ce que j’imagine alors se faire en une heure maximum s’ouvre devant moi. Le sol est dur, je peux repartir d’un bon pas. Il fait jour encore et d’après mes calculs, je devrais arriver à la nuit tombante. Je sors donc ma lampe frontale histoire de ne pas être prise au dépourvue, réorganise mon sac, remplis mes gourdes et je repars en direction de l’arrivée. Je n’aurais pas passé plus de 5 minutes sur ce CP, un record depuis le début de l’aventure !…
Devant moi un groupe de 4 évolue et semble bien se connaître. Deux Hommes Deux femmes. . Ils sont anglais. De toute évidence ils ont souhaité faire cette épreuve ensemble et le rester jusqu’au bout. L’un d’entre eux semble faire une ballade de santé, les filles ont le même rythme le quatrième ne semble pas en mal non plus. J’essaie bien de sympathiser mais au bout de 30 km, mon anglais est bien moins fluide et je n’ai pas la force d’engager une conversation. Je les suis donc quelques mètres derrière histoire de ne pas me sentir seule. Nous avons sensiblement le même rythme. Je peux donc rester derrière. Cela me fait tout drôle. Après des heures seule, j’entends des voix, des rires, et de la vie dans ce désert sans fin.
Les km s’enchaînent lorsque d’un coup mon cœur se serre ! Des dunettes de sable ! Moi qui voyais enfin la fin à portée de main ! Je ne sentais plus mes pieds, ils me faisaient à peine souffrir, la fraicheur du soir était agréable et j’étais presque arrivée ! Mais là je sais que cela va être compliqué. La nuit tombe. J’allume ma lampe et perds un peu de distance avec mon groupe du moment. Un peu de végétation nous entoure, mes pieds glissent sur le sable, je serre les dents. Nos retrouvons un sol caillouteux, une petite montée s’offre à nous. Mais d’un coup je réalise que cela fait un certain temps que je n’ai pas prêté attention aux marquages au sol, suivant tel un mouton le groupe devant moi. Un groupe de français me rattrape et de toute évidence nous a suivi de loin. La question fatidique tombe. « Vous avez vu les marques du chemin ? » Moi non, eux non plus. L’un d’entre décide de monter sur la butte pour y voir au loin, peut être voir les lumières de l’arche d’arrivée. Je décide de rester en bas et d’observer. Je n’ai plus la force de monter. Arrivés en haut, je les vois tourner la tête de gauche et de droite… plusieurs fois. De toute évidence, la nuit noire tombée en quelques instants ne nous laisse pas entrevoir notre délivrance, la ligne d’arrivée n’est pas en vue.
Je commence à paniquer. A la fin, nous sommes presque arrivés : Aurions nous tant dévier de notre route ! Ce n’est pas possible…5.5 km.. c’est tout ce qu’il me restait et là, dans le noir, combien je vais faire de mètres, de km en plus pour retrouver le chemin ??? Derrière moi tout un groupe arrive, plus d’une dizaine et ont fait la même erreur que nous. Nous voici comme des fourmis errant sans reine, divaguant dans cette nuit noire. Les minutes défilent, j’ai perdu tous mes repères. Je ne pense ni à boire ni à manger, je ne veux que rentrer. Mais à la fin, on y est presque ! Il doit rester à peine 1 km ! Un marcheur arrive à côté de moi, je lui demande s’il a le road book à porter de main, le mien est sous ma bouteille d’eau et je n’ai pas la force d’aller le chercher. Il est du Kazakhstan. Et zut, difficile de communiquer. Il n’a que la page 1, nous en somme à la 2ème de cette étape. Je dois donc attraper le mien. Ma boussole est … dans mon dos, dans mon sac. Je l’ai rangée ce matin en me disant que visiblement je n’en aurais pas besoin ! Intérieurement je m’effondre, j’ai envie de poser mon sac là et de dormir là, je n’en peux plus de cette journée ! Trop d’émotions, un vrai ascenseur et maintenant que je me retrouve presque à l’arrivée je suis perdue ! PERDUE ! Dans le noir. D’habitude, cela ne m’aurait pas inquiétée, mais mes pieds sont dans un tel état que je n’envisage en aucun cas de faire quelques mètres de trop !
Les larmes montent mais ne coulent pas. Je sors mon road book et au même moment, miracle, une voiture de l’organisation s’approche de nous. Ils s’arrêtent à un groupe avant moi, mais ne se comprennent pas. Ils viennent vers moi. « Mais que se passe t’il ? Que faites vous tous ici ? » « Nous sommes perdus, nous ne trouvons plus les marques » lui dis je, le road book à la main. Il regarde son gps. « Bon, je vois où est le chemin, je me mets devant et je te fais des appels de phares »… « Oh merci ! » mon regard s’éclaircit ; mon cœur avec. Je le vois faire quelques centaines de mètres plus à gauche et il mets ses warning. Nous avions trop dévié sur la droite. Je crie du reste de force qu’il me reste « C’est par là ! » et toutes les fourmis, de toutes les nationalités comprennent….nous nous dirigeons tous vers la voiture pour retrouver le chemin. Sauf que ce chemin ouvre sur… des dunes de sable. Je n’en peux plus, mes pieds glissent sur mes ampoules, je n’arrive plus à appuyer sur l’avant de mon pied. Tout le monde me double en silence. Nous voulons tous nous délivrer de cette étape. L’organisation revient de l’arrivée à rebrousse poils pour nous baliser le chemin avec des tubes fluorescents. Je les suis un à un mais je n’en peux plus. Je ne vois toujours pas l’arche et pour cause ! Perché en haut d’une dune qui me parait immense, un des bénévoles me rassure, elle est juste derrière, fais le tour ! Je fais enfin le tour de cette dune et là sous des dizaine de spots, elle apparaît tellement lumineuse ! J’en suis éblouie !
J’arpente les derniers mètres et je suis tellement heureuse de voir mes coéquipiers de la tente. Je passe la ligne, fais une bise à ma famille à la caméra et me mets hors champ. Je jette mon sac à terre, il est encore lourd des bouteilles que je n’ai pas vidé et je m’effondre en pleurs. Ils me soulèvent « je me suis perdue, j’aurais dû arriver il y a plus de 3/4 d’heure…, j’ai tellement mal, le pire c’est dans le sable… » nous nous dirigeons vers la tente, un thé m’est offert par l’organisation à l’arrivée. Qu’il est bon, qu’il fait du bien… je lui arracherais bien la théière des mains si je m’écoutais… Mes coéquipiers me portent mon eau et mon sac… Cela me ravive le cœur. Je retrouve Dolorès en allant vers la tente. Je pose mes affaires, je n’ai qu’une idée en tête, aller à la tente média. J’irai à la tente des podo après. Je VEUX envoyer un message. Je prends un coup de nerfs quand on ne semble pas comprendre pourquoi je ne fais pas soigner mes pieds tout de suite. Depuis 3 jours je fais soigner mes pieds en premier et je rate les heures d’ouverture de la tente média. Cette fois ci je ferais l’inverse, j’ai BESOIN de leur écrire, de me rattacher à eux. La journée a été trop dure, accumulée aux précédentes. Je lis mes messages reçus aujourd’hui et j’y vais… clopin clopant … Ma démarche est loin d’être fluide… mais enfin je vais leur écrire, les rassurer, me rassurer.
La suite sera comme d’habitude : voir les podologues, me faire la popotte doucement et en silence car certains dorment déjà. Seulement cette fois ci, il y a foule chez les podo et certains d’entre eux sont réquisitionnés pour prêter mains fortes l’hôpital de campagne mis en place face au nombre grandissant de malades. L’attente va être fort longue et va puiser un peu plus dans mes ressources. Je rentre dans le noir. La nuit est belle sur le camp. Je scrute les étoiles comme chaque soir, c’est splendide. Mon moment à moi d’apaisement, occultant les bruits du camp.
Nous avons reçu à l’arrivée le détail de l’étape 4 : « la longue ». Celle qui me terrifie, surtout vu mon état. J’espère à haute voix qu’il n’y aura pas trop de sable, car sur le dur, quand je suis lancée, ça roule. Sur le sable, pieds fuient, glissent et je dois serrer les dents. Surtout, l’appui sur l’avant de mon pied est quasi impossible dans le sable.
Greg, mon voisin de couchette, me dit « regarde le demain matin, tu auras tout le temps. » Il essaie en fait de me protéger. Il a vu mon état à l’arrivée.
Tout le monde s’endort…. C’est plus fort que moi, je regarde. Au fin fond de cette nuit noire, dans un camp endormi, bercée par les gémissements de ceux qui sont malades, les aller retours de la voitures des docs, je découvre ce que je redoutais… beaucoup de portions sableuses jonchent le parcours : dunes, dunettes, terrain sablonneux…. 82,5 km… soit le double de ce que je fais chaque jour depuis trois jours… Je me couche en réfléchissant à quelle stratégie mettre en place. Demain est un autre jour… Il est tard…bonne nuit.